Cinq années ne se sont pas encore écoulées depuis l’élection de l’actuel président de la République, mais le bilan de la politique éducative peut déjà être réalisé dans trois domaines essentiels : l’assouplissement de la carte scolaire, la formation des maîtres,
la lutte contre l’échec scolaire.
Sur la feuille de route de Xavier Darcos (ministre de l’éducation de 2007 à 2009) figurait une première grande réforme :
l’assouplissement de la carte scolaire. Celle-ci poursuivait plusieurs objectifs : « donner une nouvelle liberté aux familles » ;
« favoriser l’égalité des chances » ; « améliorer sensiblement la diversité sociale dans les collèges et lycées ».
Le ministère publie régulièrement des « chiffres clés » censés montrer la réussite de la réforme : nombre total de demandes de dérogation, proportion de demandes de boursiers satisfaites… Ces « chiffres clés » sont abondants mais lacunaires, faute d’une information simple et indispensable : quel est le nombre de boursiers bénéficiaires d’une dérogation par rapport aux non-boursiers ?
Des bilans de la réforme d’assouplissement de la carte scolaire se sont progressivement accumulés.
Le premier, réalisé par deux inspecteurs généraux, est négatif : « Dans les établissements les plus convoités, il y a peu d’élèves de condition modeste ; dans les collèges les plus évités, ce sont les catégories favorisées qui ont disparu. »
Un rapport de la Cour des comptes, publié en 2009, parvenait au même résultat.
Sur un total de 254 collèges « ambition réussite », collèges au recrutement le plus populaire, 186 avaient perdu des élèves.
Les parents d’origine aisée et moyenne ont profité de l’assouplissement de la carte scolaire pour retirer leurs enfants de ces établissements.
Enfin, en 2010, une enquête du Syndicat national des personnels de direction de l’éducation nationale (SNPDEN), menée auprès de 2 758 chefs d’établissement, a confirmé ces deux premiers rapports.
Elle tend à montrer une mise en concurrence des établissements pour attirer les meilleurs élèves et une perte de mixité sociale
dans les établissements ZEP. Loin de progresser, la mixité sociale a reculé.
Depuis la publication de ces rapports, des recherches universitaires fouillées ont validé ces premières analyses : la mixité sociale des collèges français est en net retrait, en raison d’un double phénomène de prolétarisation des collèges populaires et d’embourgeoisement des collèges huppés. Fracture sociale et fracture scolaire convergent. La ségrégation scolaire augmente et l’école française décroche.
Repenser la formation des maîtres fut un deuxième projet majeur inscrit sur la feuille de route de Xavier Darcos.
La réforme reposait sur un argument recevable : les formations dispensées dans les instituts universitaires de formation des maîtres (IUFM) ne préparaient pas suffisamment au métier. Les changements furent nombreux : obligation d’être titulaire d’un master 2 au lieu d’une licence pour devenir professeur ; réduction du nombre d’épreuves aux écrits ; introduction d’un oral sur les manières « d’agir en fonctionnaire de l’Etat de façon éthique et responsable »…
La rupture la plus radicale fut la suppression de l’année de stage des professeurs – neuf heures d’enseignement hebdomadaire au lieu de dix-huit -, étape cruciale de formation et d’apprentissage du métier. La mesure, imposée par le projet de limiter le nombre de fonctionnaires, était paradoxale : elle réduisait quasiment à néant la professionnalisation de la formation qu’il s’agissait portant de renforcer…
Le résultat de cette nouvelle architecture de la formation fut immédiat : le nombre d’inscrits aux nouvelles formations de professeurs a chuté de 30 % dès la rentrée universitaire 2010. Un certain nombre d’enquêtes et de témoignages ont aussi montré les difficultés inextricables dans lesquelles se débattaient certains jeunes professeurs stagiaires.
Pour colmater les incuries du nouveau dispositif, une toute récente circulaire prévoit, à la fin du mois d’août 2011, des formations accélérées sur la gestion de la classe et autres sujets cruciaux qu’il semble étonnamment possible de maîtriser en quelques demi-journées… Cette politique de la rustine est-elle à la hauteur des problèmes éducatifs auxquels l’école française est confrontée ?
L’avenir n’est guère plus rassurant. Demain, les titulaires d’un master d’enseignement pourront légitimement prendre en charge des classes et satisfaire les demandes des rectorats à la recherche de vacataires de plus en plus nécessaires quand la gestion des personnels titulaires devient de plus en plus serrée. Or ces nouveaux diplômés ont une formation professionnelle succincte. Leurs compétences académiques ne sont également pas comparables à celles des lauréats du capes, notamment dans un domaine sensible : l’orthographe. Les élèves de demain peuvent-ils progresser avec des professeurs moins sélectionnés et moins formés aux exigences spécifiques du métier ?
Une troisième grande politique de l’actuel quinquennat est centrée sur l’éducation prioritaire et les élèves en difficulté scolaire.
Depuis 2007, le gouvernement a multiplié les dispositifs particuliers avec, notamment, dans le cadre de la politique « espoir banlieues », la création des internats d’excellence, censés favoriser « la promotion de l’égalité des chances et de la mixité sociale ».
Le projet consiste à réserver des places d’internat dans de bons établissements à des élèves « motivés », scolarisés dans des établissements des banlieues défavorisées, et n’offrant pas les meilleures conditions de réussite scolaire. Cette mixité sociale a été promue à une dose homéopathique : le nombre d’élèves bénéficiant d’un internat d’excellence n’a pas dépassé 700 en 2008.
Certes, il est prévu, à terme, de créer 20 000 places. Effectif important, qui représenterait toutefois à peine plus de 3 % des élèves scolarisés dans l’éducation prioritaire…
Pour autant qu’un tel projet serait mené à bien, une limite centrale des internats d’excellence tient à ce que ceux-ci aboutissent à proposer aux élèves les plus motivés de quitter leurs établissements populaires sans se préoccuper des conséquences négatives pour la grande masse des élèves restant dans leur établissement d’origine. La réussite éventuelle des élèves bénéficiant des internats d’excellence tient notamment à un « effet de pairs », à la proximité d’élèves de bon niveau scolarisés dans de meilleurs établissements.
La contrepartie du retrait des bons élèves des établissements défavorisés est l’existence d’un effet de pairs négatif pour les autres élèves privés de la présence des élèves motivés scolarisés ailleurs. Les progrès de quelques-uns sont obtenus au détriment du plus grand nombre. Est-ce là une façon de proposer une dynamique espoir banlieues ?
Une politique de même ordre que les internats d’excellence est destinée aux élèves jugés perturbateurs, pour lesquels ont été créés des établissements de réinsertion scolaire (ERS). Cette politique est tout autant problématique. Les élèves scolarisés dans ces établissements spécifiques vont subir un effet de pairs négatif, alors qu’il faudrait rechercher un effet de pairs positif. Celui-ci a été montré par les enquêtes PISA (Programme international pour le suivi des acquis des élèves) : l’écart de performance entre deux élèves dont le milieu socio-économique est similaire et qui fréquentent un établissement dont le profil socio-économique est moyen pour le premier et privilégié pour le second représente l’équivalent, à l’âge de 15 ans, de plus d’une année d’études ! Les ERS, loin de réinsérer les élèves en difficulté, risquent fort d’accentuer leur marginalisation scolaire…
La réduction des postes d’enseignant, contrairement aux allégations rassurantes, restructure, en profondeur et de façon négative, les conditions de scolarisation des jeunes générations, surtout celles qui connaissent le plus de difficultés scolaires et sociales. Une politique d’égalité des chances peut-elle réussir en donnant moins à ceux qui ont moins ?
Les projets actuels du gouvernement pour lutter contre l’échec scolaire sont-ils plus prometteurs ? La généralisation des évaluations, en fin de CM2 et en fin de 5e, laisse perplexe, quand, parallèlement, certains ténors politiques envisagent le retour d’un examen d’entrée en 6e ou des paliers d’orientation au cours du collège. L’idée avait déjà été défendue par Luc Ferry lorsqu’il était ministre de l’éducation nationale.
Le cap a été fixé et il n’a pas varié. Avec le développement d’établissements aux projets spécifiques – ERS, internats d’excellence, programme Eclair (école, collèges et lycées pour l’ambition, l’innovation et la réussite) -, le ministère poursuit la déconstruction du collège unique, alors même que les pays dont les systèmes éducatifs sont les plus performants, la Finlande en premier, ont opté pour un cursus commun aux élèves de moins de 15 ans. Celui-ci n’est pas seulement favorable à l’égalité des chances, il est aussi le plus efficace !
L’autonomie des établissements est présentée comme la panacée. A écouter certains responsables politiques de l’UMP, les problèmes récurrents de l’éducation seraient résolus si les écoles, collèges et lycées étaient dotés de « patrons » susceptibles de recruter leur équipe.
Cette confiance dans la toute-puissance du chef, véritable pensée magique, étonne. Les recherches nationales et internationales n’ont pas démontré l’existence de liens stables entre autonomie des établissements et performances scolaires. Cette autonomie est même associée à des inégalités plus fortes entre établissements et entre élèves…
Le bilan de la politique éducative de ce quinquennat est problématique dans deux domaines clés. D’abord, celui des moyens financiers qu’il faut inévitablement examiner, tant ils sont significatifs d’une orientation politique. L’éducation des élèves n’a pas été une priorité. Les dépenses engagées par écolier français demeurent par exemple très inférieures à la moyenne de l’OCDE. Cette restriction des dépenses est souvent justifiée par la nécessité de la rigueur budgétaire.
Il s’agit d’une contrevérité. Cette rigueur est à géométrie variable et résulte d’abord d’un choix : le gouvernement a préféré baisser la TVA dans la restauration, réduire les droits de succession et instaurer le bouclier fiscal. Sur le quinquennat, cette politique fiscale a entraîné une perte annuelle de recette d’environ 5 milliards par an. Il aurait fallu supprimer plus de 100 000 emplois publics par an pour combler une telle perte de recette ! Les récents arbitrages fiscaux – la suppression du bouclier fiscal accompagnée d’une baisse sensible des recettes de l’ISF – montrent que l’actuel gouvernement est fidèle à son orientation politique initiale : moindre taxation des ménages les plus fortunés ; réduction des dépenses éducatives.
L’autre domaine clé est celui des choix. Comment expliquer des politiques éducatives – réduction de la formation professionnelle des enseignants, assouplissement de la carte scolaire, multiplication des filières au niveau du collège – qui sont à l’opposé des politiques menées par les pays dont les systèmes éducatifs sont les plus performants ? Si ces politiques ont des effets globaux négatifs indiscutables -le renforcement d’un quart-monde scolaire déqualifié qui échappera difficilement à la précarité professionnelle -, elles font aussi des bénéficiaires : les parents des catégories aisées qui concentrent davantage leur progéniture dans les établissements huppés.
Une politique éducative doit être évaluée à ces résultats. Celle de l’actuel gouvernement, en cohérence avec sa politique fiscale, a été au service des intérêts matériels et symboliques des classes aisées.
Les objectifs affichés à satiété par le gouvernement – égalité des chances, mixité sociale, lutte contre l’illettrisme, aide aux élèves
en difficulté scolaire, priorité à l’éducation… – relèvent de la corruption des mots. Celle-ci n’est pas seulement un mode ordinaire de gouvernement, elle est aussi un obstacle fondamental à la connaissance et au vote éclairé du citoyen.
A propos de l’auteur
Pierre Merle est professeur d’université (IUFM de Bretagne et Université européenne de Bretagne), agrégé de sciences économiques et sociales, expert à l’Agence d’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (Aeres), membre de la section sociologie du comité national du CNRS, vice-président du jury de l’agrégation de sciences économiques et sociales.